ATMOS–SCAPES

Drice Ducongé dos Santos
Mémoire suivi par Yvan Étienne

DNSEP
2023

Atelier de Communication Graphique
Haute École des Arts du Rhin

LE PAYSAGE,
UNE EXPÉRIENCE
DES AFFECTS

La terre que je porte dans mon cœur, c’est une région de champs étroits, où l’ivraie et le chardon se mêlent à l’épeautre et à l’engrain. C’est une région de rivières douces, qui s’alanguissent dans des lits de cailloux blancs en été, qui roulent des tourbillons sombres sur les berges et les prairies lors des crues d’hivers. C’est un pays de pâtures grasses, de fondrières fleuries, de ruisseaux vagabonds, de forêts enchevêtrées où le jour perce en ondées dorées.Jaworski Jean-Philippe, Même pas mort, Folio SF, 2015

Si, tout au long de ce mémoire, j’aborde la question de paysage, ce n’est pas afin de répéter ce que beaucoup (cité·es au fil de ce texte) ont déjà pu écrire au sujet du paysage.
Je ne tergiverserai alors pas sur les conditions d’apparitions du concept de paysage, de sa place dans l’art au fil du temps ainsi que toutes les implications qu’il a pu prendre dans des domaines variés tels que l’architecture, l’écologie ou encore la géographie. Les théoricien·nes du paysage n’étant en accord, ni sur une définition du terme, ni sur ses usages probables, on ne s’imposera pas de définition trop précise (arrêtée) du concept.

Une recherche sur le paysage devrait se montrer fidèle à une sorte de principe de visibilité, c’est-à-dire s’attacher d’une façon constante ou du moins prioritaire à ce qui s’offre aux sens, à ce qui se perçoit, s’entend, se subodore. Sansot Pierre, Variations Paysagères, Paris, Klincksieck, 1983, p.30

On assumera alors le terme paysage comme un concept volontairement flou, de l’ordre du ressenti, en s’appuyant principalement sur les interrelations perceptives et sensibles du paysage, soit-il réel ou (re)présenté. Ainsi, je ne me dédouane pas des diverses implications de son usage ici, mais plutôt j’étends, à la manière du paysage, l’horizon. Étalant ainsi le champ d’appréciation, on se permettra d’employer le terme pour et dans tous les contextes où il serait pertinent (à tort et à travers), mais aussi on lui préférera parfois d’autres termes (l’atmosphère, l’ambiance). Les angles de réflexion seront abordés, par des méthodes aussi variées que celle de l’emprunt, de la citation, à la manière du rêveur dans son hamac, qui s’imagine tissant des liens, s’arnachant au bancal, fixé sur des fils à rien de rompre. Tout du long on liera bribes de ressentis, citations, sons et images qui peu à peu, fil à fil, déploieront un paysage des paysages sur l’horizon sensible.

l’approche universitaire classique, froide et mécaniste […] néglige complètement l’imaginaire et symbolique […] au discours académique je préfère la technique du collage pictural/musicalLebel Jean-Jacques, L’Amour et l’argent, Paris, Stock, 1979, p. 17

Ce mémoire se construit à partir de textes, d’images et de sons. Sur la version web de ce mémoire, l'accès au son se fait par un click sur la balise audio en dessous de 0X - Titre du son, cela lancera un player avec le son, ou alors renverra vers un site extérieur ou écouter le morceau. Vous pouvez aussi télécharger une archive .zip des sons disponibles à l'adresse
memoire.dddoss.eu/sons

Chacune des entrées (listées de la manière qui suit : A1, A2, B12, C4, etc.) a vocation à être indépendante, vous pouvez lire soit dans l'ordre soit dans le désordre !

Ce mémoire respecte les règles de l’inclusif·ve ainsi que la charte bibliographique des Presses universitaires de France.

ATTENTION
SCAPES


soundscape : An acoustic environment, a virtual/emotional environment created using sound.

landscape : A portion of land or territory which the eye can comprehend in a single view, including all the objects it contains.

01 – Extrait d’entretien avec Sebastian Dicenaire

On verra qu’outre la notion d’environnement et l’étymologie en -scape qui semble les relier, les deux termes paraissent assez éloignés. Pourtant nous les regrouperons ici sous l’appellation de paysage. Non pas par praticité, mais plutôt car le soundscape n’est qu’une conceptualisation grossière du paysage en tant que son, ou comme préfère Murray Schaffer
le « paysage sonore ». Tout au long de ce mémoire, nous partons du postulat que le paysage est une sensation, une expérience sensorielle parcellaire et totale, que l’on n’expérimente pas un paysage réel par morceaux et si l’on assiste à la reproduction d’un enregistrement sonore d’un paysage alors on a affaire qu’à cela, l’écoute d’une trace.

L’environnement dont nous faisons l’expérience, celui que nous connaissons et dans lequel nous évoluons, n’est pas découpé selon différents chemins sensoriels par lesquels nous y accédons. […] La puissance du concept prototypique de landscape réside précisément dans le fait qu’il n’est lié à aucun registre sensoriel spécifique.Ingold Tim, « Against soundscape », in Autumn Leaves, CRiSAP/Double Entendre, 2007 cité dans Bonnet F. J., Les mots et les sons, un archipel sonore, L’Éclat, 2012

Où l’on perçoit une section d’un espace réel ou imaginaire, où on se le représente à partir des percepts offerts. À travers principalement la vue et l’ouïe.

Perception as a representing act is distinguished from immersion in the sensible ; it involves an anterior sorting out, presumes a directive surge of consciousness and an intended object.Wyschogrod Edith, « Doing before hearing : on the primacy of touch », dans Textes pour Emmanuel Levinas , Paris, Jean-Michel Place, 1980, p. 181

Picture, en anglais, c’est donc la transmission d’un souvenir (à priori) non narratif, ne faisant pas anecdote en soi. Si la description d’un lieu forme un récit, on n’y intègre pas forcément les actions s’y déroulant. On dépeint un espace arrêté, une portion délimitée de celui-ci, par apposition mentale d’un cache (on pose une fenêtre) mettant en avant un espace perceptif. Tout l’enjeu de cette pratique du picturing, soit-elle en puissance ou non, est non pas de projeter le paysage et ses potentialités sensorielles, mais plutôt de (se) projeter dans les ressentis d’un·e rapporteurse de paysage.

“[…] car un tableau ne représente pas une image vue à travers un œil  : l’objet réel, tout comme l’objet peint, sont tous deux objets du regard. Un tableau n’est pas image de la vision. […] Si la vue est toujours vue de quelque chose, elle n’est pas vue d’elle-même.Maillet Arnaud, Le miroir noir, enquête sur le côté obscur du reflet, L’Éclat, « Kargo », 2005, p. 80

La captation confine le paysage en un extrait choisi, mais le paysage réel, au sens où il est en continuité avec notre situation sensorielle, s’offre d’une autre manière aux sens.

[le paysage est] un espace à la fois fini et infini,
limité et illimité
Balibar Justine, Qu’est-ce qu’un paysage ?, Vrin, « Chemins Philosophiques », 2021, p. 117


02 - Baute Pascal, De 20 Hz à 20 kHz le spectre d’audition humain

Gringer Ronan Phillip, Situation du visible dans le spectre électromagnétique, Wikimedia Commons

Le paysage n’existe qu’en relation avec un sujet esthétique, il est l’objet d’une perception et d’une expérimentation, lesquelles sont médiatisées par toute une série de filtres culturels variésIbid., p. 8

Un paysage retranscrit (car l’on est bien scribe face à un paysage) se trouve inévitablement transformé par le prisme sensoriel d’un scribe,
un accord de couleur, un réglage d’amplitude, un angle de captation n’étant jamais objectif pour qui que ce soit. Quiconque retranscrit soi-disant objectivement un lieu se retrouve confronté à sa propre sensibilité, ses propres filtres. La posture du scribe ne va pas sans celle de l’enlumineur, de l’artiste. Personne, même l’audio-naturaliste le·a plus chevronée ne pourra restituer une expérience réelle d’un paysage. C’est la fameuse fenêtre du peintre, c’est le picture anglais. L’objectivisme des Becher est tout autant un échec que celui d’Ayn Rand, au sens que la réalité existe bel et bien au-delà de la conscience, mais qu’il est impossible, et non-souhaitable de vouloir chercher à standardiser cette dernière,
car l’expérience sensorielle étant fondamenta-lement basée sur les points de perception individuels, la collectivisation des ressentis n’appelle en aucun cas à l’édition
d’un standard affectif.

Un ciel sans nuages, en lumière « neutre » n’est pas souhaitable et se forme en antithèse à la notion même de paysage.

le point de vue est ouvert sur une divergence qu’il affirme : c’est une autre ville qui correspond à chaque point de vue, chaque point de vue est une autre ville, les villes n’étant unies que par leur distance et ne résonant que par la divergence
de leurs séries, de leurs maisons et de leurs rues.
Et toujours une autre ville dans la ville. Chaque terme devient un moyen d’aller jusqu’au bout
de l’autre, en suivant toute la distance.Deleuze Gilles, Logique du Sens, Paris, Les Éditions de Minuit, « Critique », 1969, p. 203

03 – Extrait d’entretien avec Elsa de Smet, historienne de l’art

La sonnance collective n’est pas et n’a pas à vocation à être harmonieuse, elle résulte d’un chaos de timbres et d’amplitudes, de couleurs et de masse. Le paysage consensuel n’est que celui fabriqué, répété ad nauseam à travers différents mediums. L’identité se crée alors dans la démultiplication aphone d’un élément standard. La différence infime entre chaque reproduction contribue à machiner un objet-paysage. Le Mont-Blanc en est un parfait exemple, car seul l’alpiniste chevronné ou les habitantes des alentours pourront témoigner d’une vision particulière de ce site. Certains entendront les craquements du tain tandis que d’autres en verront la silhouette par tout temps. Si l’on va voir le Mont-Blanc dans l’attente de ce que l’on a vu, on sera satisfait car on aura re-connu l’endroit, mais toute la surprise et la sensation paysagère résidera non pas dans la correspondance à l’image-paysage, mais bien dans l’agencement réel des composantes attendues, où la combinatoire liée au temps est forcément inattendue.

Authentique, ce serait un paysage donné à un individu […], un bout de nature découverte et non reconnue. […] Il impliquerait en outre la présence synesthésique de tous les sens au lieu de la soumission béate au diktat de l’œil et à la sémantique de la vision.Jakob Michael, Le Paysage, Infolio éditions, 2008, p. 14


L’avènement du paysage étant le produit d’une perception, il est aussi et surtout le produit de régimes d’attention de l’ouïe et de la vue, qui deviennent alors, regard et écoute. Pour exemple, on voit un arbre, mais on regarde les interstices et les jeux de lumière entre les feuillages, ses nœuds. Ou encore, on entend une voiture s’approchant, mais on écoute la cadence du moteur, la vitesse de rotation des roues, la position de la source par rapport à nous.

On fait donc ici la différence dans chaque sens entre son état passif et actif, J.-L. Nancy parle de « nature simple » et d’état « tendu, attentif ou anxieux ». Cet état d’attention crée immédiatement la différence entre un espace et un paysage, l’espace est présent, l’individu en extirpe une nature paysagère par l’attention. Une fois le processus cognitif-perceptif lancé le sujet mesure esthétiquement tous les virons (ciel-terre, terre-mer, soleil-yeux, vent-clapotis, cigales-grillons…). Ainsi le sujet non seulement est dans l’espace, mais fait exister (en son intérieur) les signaux de ce dernier. Ainsi on ne voit pas et n’on entend pas le paysage, mais plutôt on le génère par l’écoute et le regard. Ces états attentifs font surgir le non-vu, le non-commun. La subjectivité est bien au cœur de l’expérience paysagère.

Le paysage se présente donc comme une relation écologique, au sens où l’on entretient une relation sensorielle avec l’espace et cette attention sensorielle permet l’avènement pour nous du paysage. On peut donc considérer la sensation paysagère comme une fascination vis-à-vis d’une expérience dans un espace circonscrit par des seuils perceptifs à travers une (in) certaine temporalité. Cette fascination n’est pas sans rappeler celle convoquée par la sensation de sublime qui se trouve plus être une sensation de vertige, de peur instinctive face à une immensité nous surplombant,
qui tétanise. Les cascades et les montagnes
dans ce répertoire en tant que site font « impression », mais ce qui les rend paysage, c’est leur ancrage dans une réalité géographique et perceptive.

A model that understands the world, and cinema, to be made up not primarily of objects, substances, structures or representations, but rather of relational processes, encounters, or eventsIvakhiv A., Ecologies of the moving image: Cinema Affect Nature, Waterloo: Wilfrid Laurier University Press, 2013 cité dans, Leth Meilvang Emil, « Cinema, meteorology, and the erotics of weather », dans NECSUS. European Journal of Media Studies, Printemps 2018, p. 70


Dans une démarche que l’on serait tenté de définir comme contraire à l’objectivisme, Schaeffer et Murray-Schaffer, chacun à leur manière, ont tenté de classifier les modalités d’écoute. Schaeffer par exemple au travers d’une nomenclature : d’une part l’écoute quotidienne qui serait purement fonctionnelle, à visée informative (on devine le son), de l’autre l’écoute réduite qui serait une appréciation du son « tel quel », sans tenir compte des informations qui en viennent. M.-S. lui aussi, entrainait ses étudiant·es à écouter les sons pour leurs qualités acoustiques. Cette seconde manière d’écouter, très utile dans un contexte audio-naturaliste, se révèle plus pernicieuse car elle cherche à sortir le son de son contexte (ne serait-ce que temporairement) paysager. En se concentrant sur un son particulier, on oublie toute la chorégraphie dont il fait partie. Les écologistes actuels, utilisant le son dans leurs recherches, ont compris à quel point étaient importantes les correspondances entre sons. Il a été noté que les oiseaux en ville chantaient en effet plus fort que ceux présents dans les milieux ruraux, ou encore que chaque espèce intercalait ses appels par rapport à ceux d’autres espèces dans le même milieu. La durée d’un son n’est alors pas indépendante de son environnement sonore.

Comme ce n’est pas par un acte distinct de l’esprit que nous composons l’idée du timbre, il n’est peut-être pas juste de l’appeler perception ; en percevant le timbre, nous ne mesurons rien. […] L’intensité et le timbre sont des sensations immédiates, dans lesquelles nous ne pouvons remarquer de complexité qu’en nous servant de l’analyse extérieure.Lagneau, Célèbres leçons et fragments , Paris, PUF, 1964, p. 200 cité dans Nancy Jean-Luc, À l’écoute, Gallilée, 2002

Cette question du son-objet rejoint d’anciennes problématiques ayant déjà marqués le monde de l’art sculptural et pictural. Joanna Demers l’aborde dans son article en mettant en perspective les travaux de Francisco Lopez et Toshiya Tsunoda avec les sculptures de Donald Judd et Morris entre autres. Lopez notamment affirme que tout travail de paysage sonore (soundscaping) se doit de s’émanciper du couple cause-objet sonore. Il faut chercher à supprimer par l’écoute (réduite), toute information localisatrice, il écrase le lieu pour suivre le vent. Arrache le son au paysage pour en faire un objet à part.

Reduced listening also focuses so much attention on minute details of sound that it can foster perceptual distortions. More fundamentally, reduced listening perpetuates the falllacy that there is one universal listening experience untouched by culture.Demers Joanna,« Field Recording, Sound Art and Objecthood », Organised Sound, Volume 14 , Avril 2009 , p. 42 

04 - Francisco López, Wind[Patagonia], extrait

Donald Judd, Sans Titre, 1994, WikiArt.org

L’instabilité des sources et des timbres sonores dans le paysage, perpétuellement modulés par les aléas alentour en rend la notation et l’extirpation de ces derniers de leur situation un arrachage, qui ne parvient qu’à les amener à un état étrange, celui d’une certaine durée dans l’air.


La perception et l’importance que chacun·e accorde au timbre d’un environnement, crée des qualités de paysages différentes, la culture propre à chaque communauté infuse dans le sujet et lui ouvre l’attention vers quelque chose de particulier, d’avoir arpenté le paysage inconsciemment l’on se retrouve partie intégrante de ce dernier. La subtilité des timbres présents dans un paysage sera perçue très différemment entre deux individus ayant appartenu à des contextes culturels différents, créant des processus de perception et d’appréciation sensoriels. Ainsi chacun·e des deux perçoit un autre paysage, avec une grille de lecture propre. Le sensoriel s’allie au culturel pour développer un narratif. Une fois formé, il reste accroché à nous, on le ressentira dans les cartes postales, le réentendra dans les moissoneuses-batteuses.


Un jour viendra où nous saurons percevoir à la mesure de nos souvenirs, où nous nous ressouviendrons pour mieux ressentirSansot Pierre, Variations Paysagères, Paris, Klincksieck, 1983, p. 30

Le paysage prenant pour origine une perception sensible et attentive fusionne avec le sujet, iel se retrouve non pas pénétré, mais résonnant avec le paysage. Le cœur qui suit le rythme de la rivière et la peau qui s’harmonise avec le soleil du Midi.

Lors des balades d’été dans les vignes, le soleil frappait ma peau et pour souffler un peu, j’allais m’asseoir à l’ombre de l’ancien four à chaux. Une structure en pierre en ruine, laissant apparaître 8 murs, pas de plafonds, les fours ainsi que l’arbre qui venait m’abriter. Les cigales et la brise tendaient tout l’espace ensemble, le bourdon le remplissant et le vent faisait revivre quelques instants la terre, bruissait dans l’arbre et quelques jours, soufflait le calcaire des pierres. La pendularité de cette balade de quelques kilomètres, réalisée le plus souvent seul, à pied à vélo tissait les liens entre l’ancienne bergerie, le bêlement des moutons parfois, le four à chaux comme « sites » et les différentes pierres, le chemin, mes pas, la légère pente qui menait à la vigne, les ronces, les cigales, les voitures qui passaient plus loin sur la D30… Chaque élément se retrouvait à cet endroit afin de reformuler d’une autre manière le paysage de ce lieu.

D’une part il [le paysage] se structure, il s’organise, il se refuse à moi dans son originelle altérité, il se singularise par des signes qui nécessitent la plus grande attention. D’autre part, il s’atmosphérise, il devient une vibration, une odeur, une émotion unique, il se mêle à moi comme s’il n’était pas distinct de moi.Idem.


[…] no matter how proximate, objects are always given across an intervening space. Seeing acknowledges distance even while compensating for it by bringing what is far off into visibility.Wyschogrod Edith, Wyschogrod Edith, « Doing before hearing : on the primacy of touch », p. 184

Le paysage visuel relèverait alors de l’acte de regard, de mesure esthétique des choses. Pas au sens du beau, mais plutôt dans le sens d’une appréciation sensible de l’espace, de la distribution du vide, des distances. Les différentes composantes visuelles permettront, par leur frontalité et leurs limitations, au sujet de sentir si telle « vue » fait paysage. C’est « L’expérience d’un morceau d’espace perçu d’un coup ».

Dans les instants les plus rares, on pourrait définir la musique : quelque chose de moins sonore que le sonore. Quelque chose qui lie le bruyant (Pour le dire autrement : un bout de sonore ligoté).Quignard Pascal, La Haine de la musique, op. cit., p. 24

Le paysage sonore, a longtemps été considéré comme une façon musicale d’écouter les sons de l’environnement, tout particulièrement car ces bruits se lient, se répondent et s’entrechoquent. Si l’on a considéré le paysage (le monde) comme musique, c’est car on a cru entendre un orchestre alors. Pourtant plus simplement, chronologiquement l’orchestre a écouté les paysages.

Si le bruyant est lié dans le paysage, il s’entrelace avec la lumière, avec l’air ambiant, car dans leur complémentarité ils tissent la mesure spatiale, couvrent et découvrent l’espace, distribuent le sol et le ciel. Le sol où s’arrêtent et se répercutent les sons, où la lumière choit et le ciel d’où elle vient et d’où ils semblent descendre. Le point de percept paysager est ancré par la gravité et se tend vers l’infini horizontal, s’échappe en un point de fuite, au seuil acoustique et visuel.

L’infini relève de l’arpège, de la gradation des sons allant de l’étouffé au clair, du murmure à l’assourdissement, puis peut être de nappes plus calmes. Tout cela advenant séparément, se recomposant dans l’oreille, l’œil et le cœur, nous laissant le loisir d’une autre mesure paysagère. On perçoit alors une autre limite à l’infini, un autre horizon, plutôt un tissu tendu de nous jusqu’au seuil du sensible.

Le paysage, donc […], n’est pas une représentation de l’infini, mais une mise en présence de l’infini.Balibar Justine, Qu’est ce qu’un paysage, op. cit., p.120

Le ciel limpide parmi les entrelacs de la vigne et des rosesRolland Romain, Jean-Christophe Tome 9 : Le buisson ardent, 1911, cité dans Charles Daniel, Gloses sur John Cage, UGE, « 1018 », 1978

Le paysage, entrelac du fini et de l’infini.


Sound converges on a potential listening point from every direction […]. The result is and auditory array, analogous to the optical array. […] Reverberant sound is informative about the size and layout of the surrounding environment.Gaver William M., « What in the world do we hear? An ecological approach to auditory event perception », Ecological Psychology, Mars 1993, p. 4

sound provides information about an interaction of materials at a location in an environment.Idem

À noter que l’on ne peut simplifier l’espace que suggère le sonore à une simple identité entre la hauteur d’une note et sa distance perçue avec le sujet écoutant. Par exemple, un ultrason très haut pourrait se situer tout aussi loin qu’un tremblement sourd. L’information sensible d’une source et de sa position nous renvoie à notre propre situation dans l’espace, les opérations cognitives qui se succèdent nous transportent dans l’espace. Un paysage se constitue de subtils déphasages des hauteurs et des volumes, permettant de s’identifier, la multiplicité des timbres des différents sons traversant l’espace crée le timbre propre au paysage en cet instant.

Zach Liebermann, Horizons, 2022, post Instagram

 Light makes the thing appear by dissipating shadow so that objects emerge against the backdrop of empty space, of a void from which shadow has been disbursed ; the object appears to originate from nothingness.Wyschogrod Edith, « Doing before hearing : on the primacy of touch », p. 191

La vue sort alors des ténèbres les objets silencieux, le regard leur distribue la distance, les mesures, les comprends. Si la vue atteste de l’existence, le regard estime le rapport à soi. La proprioception prend sa forme. Le paysage se matérialise dans la mesure d’objets, de leur distance par rapport à soi ainsi qu’avec un seuil (threshold) variant. Dehors, seuls le ciel et la mer en sont les limites.

[…] car le bruit ne provient pas de la région sereine du ciel.Lucrèce, De rerum natura, livre IV

05 – Dauby Yannick, Dit lip hue hng 直入花園, extrait

Dauby Yannick, Penghu July 2020

L’œil lui contracte l’espace, comprime les distances, déplaçant ( map() ) ces dernières sur le spectre coloré, renvoie un fisheye. Le regard, lui, les réinterprète, visualise les virons, crée les contours aux formes et les retourne, les écrase et recrache un diaporama.

Le fisheye grossit les limites, fait fuir l’horizon et allonge les distances. L’écoute, elle, écrase et redéploie continuellement l’espace. Le son est traité pour nous recentrer (audiopositionner) dans l’espace, raffermir les distances avec les sources, affirmer leur présence, leur réalité. L’écoute décuple le regard, lui soutire une mesure et la confirme, dans l’immobilité rajoute le déplacement, dans le point de fuite rajoute la compression.

Sze Sarah, Fallen Sky, Sarah Sze, Storm King Art Center, Mountainville, New York, 2021

Il n’y a rien dans le sonore qui nous renvoie de nous-mêmes une image localisable, symétrique, inversée, comme le fait le miroir. En latin le reflet se dit repercussio. L’image est une poupée localisable.Quignard Pascal, La Haine de la musique (1996), Gallimard, « Folio », 2002, p.112

Il faudrait prendre l’oreille comme un miroir des sons, une sorte de dispositif sonifiant, qui renvoie les sons à eux-mêmes, qui les tord de leur source dans la cave de l’oreille, les noues dans la cage de la perception, les nerfs optiques surchargés. Le tympan déplace le son en le faisant résonner et le cerveau le réinterprète. Il se dé-charge sur le cerveau, lui laisse trouver l’où et le quoi alors que les yeux, les cônes se sur-chargent, ne sous-traitent pas la vue. Tout est rendu identifiable dès que découvert.

Lorsque l’on découvre un paysage, on prend le bout de terre et on le dissèque, enregistrant physiquement toutes ses caractéristiques. Le regard, pour peu que la lumière soit là, laisse alors de place à l’imagination. Le faisceau visuel incide sur la forme et tend à la circonscrire, à forcer les couleurs à se fixer à l’œil, l’onde est concentrée (coincée) dans la rétine. Le son (bruissement), caché au-dessous des formes, vient parer, recouvrir le paysage mis à nu.

Le sonore, a contrario du lumineux, rebondit dans le temps. Le mur du son.

Si nous consentions à établir à nouveau une opposition un peu forcée entre le visuel et le sonore, nous dirions que le premier nous permet de mieux distribuer et de mieux articuler le paysage tandis que le second nous assure le plus souvent de son existenceSansot Pierre, Variations Paysagères, op. cit., pp. 82-83

L’œil consent au chaos, y déniche des régularités, des lois, l’oreille, est contrainte de perdre la trace de ce qu’elle a retranscrit dès que le signal a été émis, le son n’existe qu’au présent.


Le son crée le temps, rend le visuel tactile, car la vue prend alors vie, on s’éloigne du paysage silencieux - un silence de mort - pour insuffler le mouvement depuis un point de perception fixe. Si l’espace visuel immobile est considéré comme zone morte alors la simple ouverture à l’écoute induit des échelles, des déplacements, des variations, fade-in & out d’une voiture, bourdon de la rivière, un bang quelques rues plus loin… Au bref, la vie. Le son-paysage fait en nous sonner l’espace, le recompose en lui incorporant du temps, du mouvement. Même à l’arrêt, les sons et leurs sources semblent dessiner une tout autre architecture, un tout autre rapport sensoriel.

S’absenter de l’environ n’est pas possible pour l’ouïe. Il n’y a pas de paysage sonore parce que le paysage suppose l’écart devant le visible. Il n’y a pas d’écart devant le sonore.Quignard Pascal, La Haine de la musique, op. cit., p. 110

Le noise se glisse « au-dessus et au-dessous  de l’entente, il prend l’interstice comme tangente. Ombre sonore. Il se fond dans ce qu’on appelle le silence, il constitue la matrice même, la matière noire que l’on cherche inlassablement renferme la même potentialité que le bruissement de fond.

Le fond sonore est l’espace possible dans le temps.

The background noise never ceases; it is limitless, continuous, unending, unchanging. It has itself no background, no contradictory. […]Cox Christoph, « Sound Art and the Sonic Unconscious », Organised Sound, Volume 14, p. 19


Le paysage est vu comme arrêté, figé par l’huile et l’encre, mais il se trouve qu’il est inexorablement teinté par le temps, rien qu’une photo, de par son diaphragme et sa vitesse d’obturation fera entrer un certain temps dans l’appareil. La photo est une boucle musicale.

La photographie n’enregistre pas la réalité matérielle qui se trouve devant l’objectif, mais son aspect visible, déterminé par le point de vue et le champ visuel à un moment précis et dans un éclairage donné. […] [le photographe] s’expose à créer des hiatus, des télescopages, des juxtapositions fortuites, des condensations et des lacunes inattendues dans la logique de l’organisation spatiale.Peter Galassi, Before Photography: Painting and the Invention of Photography, New York, MoMa, 1981, cité dans Desportes Marc, Paysages en mouvement, Gallimard, 2005

Opérer une coupure dans le temps pour archiver un morceau d’espace, c’est approcher le paysage de la perspective du médecin légiste : on incise, découpe, retourne une peau en voie de putréfaction pour se rendre compte de ce qui l’a amenée là. Le sensible se glisse parfois dans l’arrêt du temps, dans les images de cadavres.


Là où la présence visible ou tactile se tient dans un « en même temps  » immobile, la présence sonore est un « en même temps » essentiellement mobile, vibrant de l’aller-retour entre la source et l’oreille, à travers l’espace ouvert.Nancy Jean-Luc, À l’écoute, Galilée, 2002, p. 36

chaque son, chaque bloc devient image. De son, il vire en bruit. Ibid., p. 207

Penser le Temps - c’est penser l’identité de l’aller et du retour. […] dans le même trait revenir.Quignard Pascal, La Haine de la musique, op. cit., p. 230


Pour peu qu’un son se joue on percevra le temps, le marqueur direct de ce dernier serait le battement de l’horloge, métronome cadencé au soleil. Dans le paysage, si la dimension temporelle est omniprésente, elle se cadence différemment des notations normées. En habitant l’espace, on ne divise pas le temps en heures et secondes, mais plutôt en rythme avec les autres sons présents, chaque espace revêtant dans le cycle des saisons et dans les rythmes du soleil et de la lune, des aspects sonores différents. J’entends la nuit les grillons ainsi que le bruissement d’une chouette, le jour il y aurait plutôt le vrombissement des automobiles parcourant la départementale, mêlée au chant d’un merle.

La seule introduction possible du langage dans la musique est celle des conjonctions, [mais, où, est, donc, or, ni, car] Ibid., p. 43

Si le son est conjonction, le visuel est les noms et le sujet est lui-même, performant les verbes. Il y a donc bien une sorte de dynamique son et image, composer un paysage en omettant le son reviendrait à lui enlever des connecteurs , ce qui ne va pas forcément ruiner la phrase « La mer, belle bleue », mais lui enlever une composante fine de cette dernière « La mer, belle et bleue », « La mer, belle car bleue ».
Je m’avancerai et dirait que le sonore est de l’ordre de la ponctuation et de la diacritique,
le son souligne, il sur-signifie, transforme, retarde, rapproche, respire.


06 – FieldReorder 01, Martina Lussi & Tim Shaw (lien bandcamp)

Toute vibration qui approche le battement du cœur et le rythme du souffle entraine une même contraction Charles Daniel, Gloses sur John Cage, op. cit., p. 53

L’air comprimé et relâché, par les variations de pressions, température et souffle, traverse et reforme un espace-son, l’air, l’invisible dans le vide formel, charge des poumons vers le cœur, le paysage exhale en continu ; nous inspirons son haleine, mélangeant notre cadence à la sienne, au rythme scandé.

Les mots forment chaîne dans le souffle. Les images forment rêve dans la nuit. Les sons aussi forment chaîne le long des jours. Quignard Pascal, La Haine de la musique, op.cit., p. 55

Nous sommes de l’eau, de la terre, de la lumière et de l’air contractés, non seulement avant de les reconnaître ou de les représenter, mais avant de les sentir. Deleuze Gilles, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 99


Les vagues c’est un peu la montée en tension du tranquille. Le va vient incessant, le clapotis que l’on voit grimper en vague et qui alors sous l’eau, fait roulement de tambour sourd. On voit alors la vague qui monte, monte, gronde et puis s’enroule sèchement sur elle-même dans un éclatement sonore et visuel (l’écume qui s’éparpille en diacritiques) et tout cela retombe en bruissant vers vous jusqu’à mouiller les pieds. Le reste de vague, insignifiant milli- puis micro- puis pico -mètre griffe un peu le sable et couine fshhh, pauvre et s’écrase dans un bruit blanc, laissant un silence bref, et de l’écume parfois.

La vague s’écrase dans le monde pour y revenir plus tard, elle s’échoue sur le sable pour mieux le ronger, pour mieux sculpter le bord de mer le shore, l’attaque de l’écume se situe dans son point de rupture avec la roche où elle claque contre elle. L’attaque sonore de la vague en haute mer se meut en un bruit sourd que seule la terreur permet d’entendre. Le tangage énorme qu’elle crée participe à bouger l’horizon, à rendre le paysage flou en nous supprimant toute possibilité d’agir dans le mouvement.


Se mou-voir dans l’espace, c’est fondre l’une dans l’autre des images et des intensités sonores, et avec la vitesse les moduler. En courant, je changerais la hauteur du passereau, je verrais en roulant les garde-fous autoroutiers perdre leurs vis pour s’effilocher en une bande grise.

Il semble même qu’une part du spectacle réside dans sa dynamique. C’est au cours d’un mouvement que peut-être apprécié le jeu des ondulations et des perspectives changeantes.Desportes Marc, Paysages en Mouvement, Paris,

Charrière Julian, An invitation to disappear, 2018, captures d’écran de vidéo, consulté en novembre, https://www.youtube.com/watch?v=0Tvb4E8CAmU

Le paysage dans le déplacement, se déforme en des fils et des chemins, un élément glisse vers l’autre. La vallée est un chemin du ciel aux rias, le son de l’eau des rias se répercute dans la vallée et le sujet écoutant perçoit l’eau et la vallée en lui-même. Ingold parle d’une danse de l’agentivitéIngold Tim, Dance of Agency, 2013, cité dans Brown Steven D., Kanyeredzi Ava, McGrath Laura, Reavey Paula & Tucker Ian, « Affect theory and the concept of atmosphere », Distinktion, Journal of Social Theory, Volume 20, pp. 5-24

On ne perçoit qu’une partie de la nasse et ses enchevêtrements complexes de fils se compénétrant inlassablement parviennent à tisser la globalité paysage dans laquelle chaque élément peut ressurgir indépendamment. La maille, s’étire en puissance dans le temps, un nœud étant toujours possible, tant qu’on aura a minima deux éléments flottants.


Les vents courent, volent, s’abattent, finissent, recommencent, planent, sifflent, mugissent, rient ; frénétiques, lascifs, effrénés, prenant leurs aises sur la vague irascible. Ces hurleurs ont une harmonie. Ils font tout le ciel sonore. Ils soufflent dans la nuée comme dans un cuivre, ils embouchent l’espace ; et ils chantent dans l’infini, avec toutes les voix amalgamées des clairons, des buccins, des olifants, des bugles et des trompettes, une sorte de fanfare prométhéenne.Hugo Victor, Les Travailleurs de la Mer, cité dans Murray-Schaffer R., Le Paysage sonore, le monde comme musique (1977), Wildproject, « Domaine sauvage », 2010

ATMOSSCAPES


07 - Chihei Hatakeyama - Starlight and Black Echo, extrait

Quayola, Landscape_Painting, capture d’écran d’une vidéo, consulté en novembre 2022 https://quayola.com/work/series/landscape-paintings.php

Atmospheres, to be sure, are not thingsBöhme Gernot, « The art of the stage set as a paradigm for an aesthetics of atmospheres », Ambiances, 2013, connection on 22 September 2020 http://journals.openedition.org/ambiances/315


L’atmosphère est un « quasi objet » selon Böhme, elle est un objet-processus, à la manière du paysage elle semble se former dans le nœud d’interaction entre un instant, un espace et un sujet sensible. Toute la tension de l’atmosphère repose, elle aussi sur l’aisthesis et sur l’attention portée par un sujet spectateurice. C’est une relation entre le subjectif et l’objectif qui fait le lien entre qualités dans l’espace et sensations en puissance dans la personneBöhme Gernot, « The theory of atmospheres and its applications », Interstices: Journal of Architecture and Related Arts, pp. 93-100

Indicible, l’atmosphère rentre dans cette catégorie de concepts où l’on peut discourir longuement sans jamais mettre vraiment le doigt dessus, filant sous la précision d’une explication universelle et rationnelle. Elle s’apparente à la transe ou à l’extase religieuse, une sensation loin des mots, présente dans l’espace par les sens.

The reason is primarily that atmospheres are totalities: atmospheres imbue everything, they tinge the whole of the world or a view, they bathe everything in a certain light, unify a diversity of impressions in a single emotive stateBöhme Gernot, « The art of the stage set as a paradigm for an aesthetics of atmospheres », Ambiances, 2013, connection on 22 September 2020 http://journals.openedition.org/ambiances/315

Le son et l’image ne sont pas atmosphère, tout comme le son et l’image ne sont pas le paysage. Les deux sont autopoïétiques et les circonstances environnantes, son et image en seraient plutôt des composantes que des causes ou conséquences. Ce sont des expériences qui se situent à la frontière des sens, et penser que tel son ou image provoque ou découle de l’atmosphère/du paysage relève de l’apophénie, au sens où le paysage et l’atmosphère ne sont pas des objets perçus, mais plutôt l’infiligement d’un discours à une sensation étrange, l’arbre qui tombe dans la forêt et l’orage.


Écouter, c’est se mettre soi-même en tension, et être écoutant confère à la fois le sentiment d’être dans l’espace et de faire résonner l’espace. […] En faisant résonner le son, en ressentant l’atmosphère, l’écoutant fait résonner l’espace et, ce faisant, il crée l’espace.Böhme Gernot, « Théorie des atmosphères. L’écoute, le silence et l’attention au théâtre », dans Le son du théâtre (XIXe – XXIe siècle), dir. Marie-Madeleine Mervant-Roux & Larrue Jean-Marc, CNRS éditions, 2016, p. 209

L’atmosphère n’implique nulle mesure des distances ou perspective. Il y a plutôt la sensation de quelque chose de différent, d’une présence ou d’une sensation. Un je ne sais quoi dans l’air, la chaleur qui fait trembler la vue.

Elle se retrouve énormément dans l’importance du climat dans les scènes cinématographiques, selon Emil Leth Meilvang, dans son article Erotics of Weather, où il analyse des livres de la collection « Côté Cinéma / Motifs », notamment ceux sur la pluie, le vent et la neige. L’intuition est juste, car si l’atmosphère réside dans l’air, l’on peut penser que le climat extérieur et les variations atmosphériques qui en résultent jouent sur notre ressenti: il est indéniable que la lourdeur pèse « comme un couvercle » sur l’humeur.

capture d’écran d’un film inconnu, depuis Leth Meilvang Emil, « Cinema, meteorology, and the erotics of weather », dans NECSUS. European Journal of Media Studies

L’atmosphère par rapport au paysage, c’est le verbe et la marque temporelle. L’atmosphère arrive, elle fait et transgresse les limites du fini et de l’infini. C’est ce flottement hagard avant la gelure, la paupière lourde sous le zénith. La force des choses présentes dans le paysage, une puissance tranquille existant dans l’entre deux.

The spaces generated by light and sound are no longer something perceived at a distance, but something within which one is enclosed.Böhme Gernot, « The art of the stage set as a paradigm for an aesthetics of atmospheres », op. cit.


L’atmosphère est à l’image de la teinte chez Rothko, elle semble indépendante de la structure spatiale et pourtant elle crée l’accord, définit une voie(x) parmi les possibles flottants.

Rothko Mark, Black on Gray, 1969, Wikimedia Commons

Rouge condensé par noir rouge rendu dense par noir progression de rouge dense comme des marches de lave rouge dense comme des marches de lave pour nous réunir là nous réunir avant d’avoir à effectuer les passages marches rouges nous mènent à trois chambres rouges chambres de lumière rouge dense rouge condensé par noirTaggart John, Le poème de la Chapelle Rothko, trad. Alféri Pierre et Hocquard Emmanuel, Éditions Royaumont, « Un bureau sur l’Atlantique », 1990

L’espace s’arrête au fini, les sens tendent vers l’illimité et entre les sens, sous la tension attentive de l’écoute et du regard, se niche la sensation que quelque chose se passe. On perd peu à peu pied et du ressenti découle une forme de vertige, un évènement non-situable, éthéré qui baigne l’espace à la façon d’une ondée. Le signal romantique déclenché fait découler de l’au-dessous de la forme paysagère.


L’atmosphère semble faire lien entre la résonnance du sujet et de l’espace, c’est son, point de départ, l’attaque de l’archet sur la corde asème au travers l’écho. Les deux s’accordent, vibrant soudain sur un certain accord. L’atmosphère alors, s’étendrait, soufflant sur l’espace, respirant les murs et contractant les vides. Nos poumons se remplissent de toutes les sensations que nos yeux et oreilles captent, les étalonnent à la hauteur de sonnance générale.

Reverb at once represents space and constructs it. Sterne Jonathan, « Space within Space: Artificial Reverb and the Detachable Echo », Grey Room, MIT Press, Volume 60, 2015, p. 112

Le paysage re-sonne en nous, éternellement, à la manière du chœur dans les cathédrales.


08 - Forest Tone

08BIS - Room Tone

Le paysage ouvert ne laisse que peu survenir sa résonnance, mais dans de rares instants, si l’on se place à un certain point et que l’on articule, une réponse se mêle et semble s’étirer jusqu’au fond du visible.


Daphnis raconte à Chloé que Écho, mortelle, élevée par les nymphes et muses, chantait si bien que Pan, jaloux et frustré par le talent d’Écho ainsi que par le fait qu’elle l’ait repoussé, a soufflé la panique sur les hommes alentour. Ces derniers la déchirèrent alors qu’elle chantait encore et « dispersèrent ses membres pleins d’harmonie ». Et ainsi Écho, éparpillée sur la Terre, ses os devenus pierres, ses cheveux feuilles et sa peau humus, continue éternellement de contrefaire les sons, d’imiter ce qui a été émis.

En production musicale, lorsque l’on applique un effet à un son, la sortie modifiée est qualifiée de wet (mouillé), au contraire un son sans effet sera dry (sec). Le seul son dry possible est celui transitant directement de l’émetteur à l’oreille, la seule caisse de résonance possible étant celle de l’instrument, un son, quant émis dans l’espace, sera lui forcément wet, car la réverbération y est présente. L’écho c’est la redite et l’espace qui reflète en quantité le son, le rend à chaque couche de réverbération plus confus, pour que ce dernier calque le contour de l’espace sur lequel il a été projeté. L’écho devient la plainte des restes de la chanteuse, récupérant un peu de son sur les flancs de montagnes. L’onde est mouillée par les larmes de la morte.

Le son est ainsi découpé par l’espace et même si le son original parvient à l’auditeurice, il est complété par ses restes réverbérés. Le son est contrefait pour situer l’air, l’écho fait apparaître et trembler l’invisible.

L’écho est la voix de l’invisible. […] Dans l’écho, l’émetteur ne se rencontre pas. C’est le cache-cache entre le visible et l’audible.Quignard Pascal, La Haine de la musique (1996), Gallimard, « Folio », 2002, p.149


L’atmosphère, en sa brève résonnance de l’espace, fait émerger des sources cachées et nous de ses sources on vibre, dans cette apothéose chère aux romantiques, du paysage.

L’écho affirme la présence d’un son en révélant le milieu dans lequel il se déploie, les points où il se réfléchit délimitant alors son périmètreBonnet François J. , Les mots et les sons, un archipel sonore, L’Éclat, 2012, p. 34

Friedrich Caspar David, Tageszeitenzyklus, Der Morgen,1821, Wikimedia Commons

La brume est l’équivalent pictural de ce que l’écho évoque en rapport avec l’atmosphère, ce sont des moyens de simuler la sensation de l’espace résonnant et fin, la brume insaisissable et couvrante et l’écho glossolalie sur surfaces. Les deux - et c’est la particularité de l’atmosphère aussi - semblent donner du poids à l’air. Le paysage se recroqueville, l’infini reste, mais prend la forme d’un vase clos. L’environnement change de géométrie et laisse apparaître le vecteur sensible comme une quatrième direction.


09 - Yau R.H.Y., Arford S., Infrasound

The architectural space becomes an acoustic container, reacting and multiplying low frequency arrays—solidifying a void where sound pressure levels interject between audience and space. It is about the total acoustic sense of space—observing sound to measure the capacity of architecture.Arford Scott, Yau Randy H.Y., Manifesto for INFRASOUND 19 - Paris, Erratum Musical, 2014, consulté en mai 2022 https://soundcloud.com/erratum_musical/infrasound-19-randy-yau-scott-arford

Resonance: Activating space to generate sympathetic vibration in both body and architecture— making all fields inseparable and one. It is about the phenomenon of resonance or sympathetic vibration—all things working in one continuum.Idem

La (dé)multiplication d’une onde sonore à travers l’espace crée un tremblement, une vibration. Cette onde entre en phase avec l’espace, alors que la lumière se voit éparpillée, absorbée par les matériaux. Le son contraignant l’espace s’accole à la lumière contrainte, dans le tremblement infime de la Terre se diffuse le souffle.

Chaque son est une minuscule terreur. Tremit. Il vibreQuignard Pascal, La Haine de la musique, op. cit., p. 32

Chaque vibration dans l’air et l’espace, chaque ondulation dans le souffle (pneuma) entraîne une imperceptible modification de la densité de l’espace, le corpusculaire pataugeant dans le reste, les vibrations s’entrechoquant et créant de la chaleur. L’aurore boréale, elle, résulte de conditions particulières des champs magnétiques, elles sont les témoins des perturbations de l’invisible, dans leur écoulement tranquille et lumineux elles mettent au jour l’avènement de l’atmosphère plus haut dans le ciel. Elle est le tremblement des pôles, la peur évacuée dans le ciel sous forme de signal.

All-Sky Camera NIPR, Syowa Aurora Station, http://polaris.nipr.ac.jp/~aurora

Les meubles qui vibrent à l’unisson avec un son, c’est leur manière de s’accorder. La lumière qui irradie l’espace, c’est le ton à donner.


Tone and emanation - in my terminology, ekstases - determine the atmosphere radiated by things. They are therefore the way in which things are felt present in space.Böhme Gernot, « The art of the stage set as a paradigm for an aesthetics of atmospheres », op. cit.

Janssens Ann-Veronica, Exhibition view, 2019

Walter Benjamin argue que la multiplication (des photographies) par la technique leur retire leur « aura », que le fait qu’une pièce/qu’un objet soit unique lui procure une certaine impression sur le sujet. En dérivant de son argument, on pourrait supposer une notion de sur-saturation de cette aura dans l’œuvre (re)produite. Une saturation qui arriverait au contraire de l’aura de l’œuvre unique, la reproductibilité entraînant une charge supplémentaire, celle de la recréation d’un dessein. Sur-saturation de ce qui est fait pour être vu, entendu, une surcharge allopoïétique. Le paysage (son expérience) de ce fait, détonne aussi par son mode de génération. Si les objets artistiques tels que les photographies de paysage, les enregistrements de soundscape sont débordés par le point de vue des artistes (on pourrait alors dire préperçu, en analogie au prémâché), l’expérience paysagère elle, crée sa propre aura, où le paysage naît dans le regard, dans l’écoute d’un sujet transgressant/résonnant, désaturant sa charge via le sensible. Le paysage s’auto-gènère, autopoïétique, se charge de par une propre présence.

The space creates an effect in its totality; the lights of the special representation produce a self-contained impression; the space stands in a unifying light

It does not want to shape objects, but rather to create phenomenaKümmerlen Robert, Zur Aesthetik bühnenräumlicher Prinzipien, Ludwigsburg, Schmoll, 1929, cité dans Böhme Gernot, « The art of the stage set as a paradigm for an aesthetics of atmospheres  », op. cit.

Meredith Etherington-Smith dir., A Life in Light : James Turrell, scan du livre

10 - GOTO 80, Synkex Volvex

L’aura, découle d’un arrière-fond, d’un « éclairage sonore ». Mais si la lumière semble sortir des ténèbres, il y a toujours une source annexe, même dans la plus ténébreuse des cavernes frémit une lueur, une onde à la limite de l’imperceptible, elle glisse le long de l’échine et lèche les yeux du spéléologue.

Et pourtant, en contemplant les ténèbres tapies derrière la poutre supérieure, à l’entour d’un vase à fleurs, sous une étagère, et tout en sachant que ce ne sont que des ombres insignifiantes, nous éprouvons le sentiment que l’air, à ces endroits-là, renferme une épaisseur de silence.Tanizaki Junichiro, Éloge de l’ombre (1933), trad. Sieffert René, Pof, « D’Étranges Pays », 2001, p.56

Soulages Pierre, Polyptique C, huile sur toile, 1985
Comet_67P_on_30_October_2014_NavCam_D

Il en va de même pour l’arrière-son permettant à l’atmosphère de se dégager. Le fond inaudible insaisissable d’où sortira l’acoustique. Dans une chambre anéchoïque, Cage entendait son sang circuler et son système nerveux fonctionner, car le monde bruisse en permanence, il n’y a pas de silence, seul le fond à la frontière de l’inaudible situé quelque part dans la marge des sens. Il est la condition de possibilité pour le signal et pour que ce signal, une fois émis développe l’atmosphère.

Sato Koichi, Student Light Design Competition Poster, Affiche sérigraphiée, circa 1980/90

Il faut noter que ce n’est pas un son en soi, comme l’écrit R.M. Schafer en parlant de keynote, sorte de son revenant souvent, le bourdon (hum) d’une ville, c’est ici plutôt un fond inaudible, plutôt un son (ou tous les sons) en puissance, avant qu’ils se manifestent dans l’espace. L’espace est l’arrière son aussi bien que l’arrière son dessine l’espace comme caisse de résonance potentielle.

Just as objects fill visual space, noise is what fills the auditory fieldCox Christoph, « Sound Art and the Sonic Unconscious », Organised Sound, Volume 14, p. 20


L’espace rempli joue l’atmosphère en concordance avec le sujet résonnant, le signal-impulsif émis et puis le reste de lumière et de son, la fadeur de l’inaudible et du diffus teint doucement l’espace, remplissant les murs, irradiant les objets d’une impureté certaine.

Il y a un vieux verbe français qui dit ce tambourinement de l’obsession. Qui désigne ce groupe de sons asèmes qui toquent la pensée rationnelle à l’intérieur du crâne et qui éveillent ce faisant une mémoire non linguistique. TarabustQuignard Pascal, La Haine de la musique, op. cit., p. 62

Le fond inaudible nous tarabuste de la même façon que la nuit et l’obscurité le fait depuis l’enfance. Dès que nous sommes à leur portée, on ressent viscéralement le vertige du non-dit, du non-vu, non-existant. Ce que Quignard évoque comme une terreur à travers la panique, le Pan grec et ses flûtes, c’est ce frémissement, le saisissement inclassable qu’opère sur nous l’atmosphère.


11 - Thomas Ankersmit, Perceptual Geography

L’imperceptible […] n’est pas tant ce qu’on ne peut absolument pas percevoir que ce qui résiste à la perception ce qui se loge dans les limites de notre perception : « sites imprenables d’un territoire imperceptible qui déborde toujours »

Pascale Criton, « Territoires imperceptibles », Chimères, Volume 30, Printemps 1997, p. 65

Le territoire de l’imperceptible s’étend sans s’étioler entre les murs, sa géographie arpente les fenêtres et les sols, trace entre les pointes de tables et se retrouve entre l’air et l’humus, c’est un terrain dont émergent les choses, et où jamais elles ne retournent, le temps avalant inexorablement les évènements qui sortent de ce strict contour.


C’est pourquoi nous disons qu’il n’y a pas de véritable rite muet, parce que le silence apparent n’empêche pas cette incantation sous-entendue qu’est la conscience du désirMarcel Mauss, Esquisse d’une théorie générale de la magie, cité dans Bonnet François J., Les mots et les sons, un archipel sonore, op. cit.

L’atmosphère se loge dans la sous-entente, loin du marteau et de l’étrier, à des lieues du tympan, elle se cache au fond des boyaux, stratifiés à la manière des cavernes résonnantes du paléolithique, elle s’y love quelques instants pour pousser de là le cœur au bord des lèvres. Venue s’enf(o)uir sous l’écoute et le regard, elle creuse un sillon inaudible, irrépétable, elle pose un interdit sur sa redite, frappant de sacré l’instant flottant, loin de l’inaudible et de l’invisible elle flotte et s’accorde avec nos contrebasses intérieures pour faire chanter à l’esprit le vertige pan-ique.


L’image sans le son est morte, le paysage sans l’atmosphère n’est que reproduction désincarnée, sans chair, sans saveur.

DATA-DRIVEN
TOUCH-STARVED
LANDSCAPES


Caillois Roger, Lecture de Pierres, Éditions Xavier Barral, 2014, scan

Koltovoi, Agate, Wikimedia Commons

Les pierres ont longtemps fasciné les élites chinoises, car parfois on pouvait retrouver dans ces dioramas de pierres, taillées par l’érosion, des creux et des pics qui évoquaient tantôt une île tantôt une montagne. Il est dit que certains sages pouvaient se miniaturiser tant qu’ils pouvaient alors expérimenter ce paysage à la même manière que le réel. Ces pierres devenaient alors leur palais mental, voire leur tombeau. Dans la surface dure, iels percevaient une élasticité de la forme, peut-être un reste de l’eau dans laquelle des pierres ont baigné jadis.

Un Gongshi ou Lingbi, ou « Pierre de contemplation », Wikimedia Commons

Les remous du liquide ajoutent en filigrane ce lac sonore et indistinct, rapetissé jusqu’à tenir à l’intérieur d’une pierre, comme le mystère d’un paysage spectral, brumeux, pourtant plus réel et plus lourd que les paysages évasifs que l’imagination, au premier appel, se hâte de projeter dans les dessins des agates.Caillois Roger, Lecture de Pierres, op. cit.


12 - SeaShell Sound

La paréidolie que l’on infère aux pierres se retrouve aussi dans le coquillage (souvent la conque) ramassé en bord de plage qu’une fois ramené chez soi, l’on colle à l’oreille pour réentendre comme un bout de mer enfermé. En fermant les yeux, on ressent alors peu à peu les vagues aux loin remuant les fonds, nous les entendons s’ébruisser sur le sable en écume. L’on prête attention à la plus infime variation dans le bruit blanc de la nacre pour écouter la marée.

L’oreille se tend toute entière vers ce paysage enfermé, accessible par la mise en tension de nos sens, par la résonance entre la nacre et notre souffle.

Poser l’oreille contre un coquillage, c’est se donner à entendre tout un océan. Le bruit coloré afflue et reflue en vagues interminables enserrées dans l’espace nacré et étroit. Pourtant, c’est un en-dehors qu’on perçoitBonnet François J. , Les mots et les sons, un archipel sonore, L’Éclat, 2012, p. 13

Le coquillage, reproduit dans ses aspérités ondulées régulière l’onde du champ où il se trouve, il contient en lui le murmure des moutons et s’enroule dans une spirale logarithmique


Malheureusement, l’espace est resté voyou et il est difficile d’énumérer ce qu’il engendre. Il est discontinu comme on est escrocBataille Georges, « Espace », Documents, vol. 2, 1930, p. 41 cité dans Le Lay Yves-François, « Emotionscapes. S’é-mou-voir des situations géographiques », thèse d’Habilitation à diriger les recherches, Géographie ENS Lyon, 2019, p. 21

Dans le bruit blanc se trouve l’ouverture à l’espace, la conque marine portée à l’oreille semble contenir un pays entier alors que l’espace trompeur ne renferme que des stries de nacres. La coquille s’apparente à l’enveloppe des montagnes sur lesquelles le regard ricoche. Il suffit de dire leurs noms pour que ces amas de cailloux deviennent des situations géographiques dont on s’émeut. La conque marine dit-elle son nom en présentant la mer en son intérieur ? On ne saura qu’en l’écoutant longuement et peut-être qu’en murmurant à notre tour les moutons d’écume nous créerons un espace à l’intérieur de nous, un imaginaire hermétique.


Ces paysages contenus dans des objets sont des paysages non pas privés d’expériences sensorielles, mais privés de toucher, d’arpentage physique. Ce sont des espaces trop petits, trop frontaux pour que l’on s’y déplace, que l’on en aie une expérience réelle, il en revient à se dire que la force de ces paysages c’est qu’ils passent par un médium.

Touch, like hearing, encounters its objects in sucessive apprehensions while, like sight, it synthesizes its data as a static presence of the givenWyschogrod Edith, « Doing before hearing : on the primacy of touch », dans Textes pour Emmanuel Levinas, Paris, Jean-Michel Place, 1980, p. 197

À la manière du paysage représenté en peinture ou en œuvre sonore, ils dépendent d’un medium et de notre capacité à porter une attention concentrée envers ce medium. On rejette la force atmosphérique phénoménologique du paysage réel pour plonger dans une forme d’hyperrésonnance avec un paysage réduit à peau de chagrin. On opère une concentration dans la métonymie. L’objet devient un tout temporaire, extrait de son espace, on le déploie en nous, dans l’imaginaire.

13 Rone - Bora Vocal


La nature reflétée par le miroir convexe noir est toujours fictive et incomplète, c’est-à-dire en défaut par rapport à la nature elle-même, parce que reflétée (aspect mécanique) et réduite (aspect fragmentaire) par ce miroir. Cependant cette double imperfection du reflet de la nature tendrait alors à être […] idéalisée par le miroir lui-même […] le miroir tend à abstraire.Maillet Arnaud, Le miroir noir, enquête sur le côté obscur du reflet, L’Éclat, « Kargo », 2005, p. 128

Ce qui fascinait les amateur·ices de pittoresque, ce n’était pas tant le paysage vu par l’œil, ni l’expérience de parcours de celui-ci. Non, même si toutes ces sensations faisaient partie de leur rituel, la véritable mystique se trouvait dans le reflet embrumé de leur miroir. La capture de l’espace dans un endroit plus petit, l’enserrement des perspectives dans une rétine de poche, c’est ici que se déploie toute la force du miroir noir.

L’imaginaire —la fiction déployée à première vue dans le reflet du miroir noir —se revêt d’un voile flou, le réel vient doucement devenir un espace fictionnel.

L’espace qu’on y perçoit est analogue à ces terres inconnues, notées sur les cartes comme l’endroit où sommeillaient des dragons, à leur manière il recèle la part d’incertitude sur ce qui passe dans le reflet du miroir.


Ces trois objets, coquillage, agate et miroir noir participent à faire ressentir une sensation de paysage contre leur gré. Nous leur apposons nous-mêmes ce statut de « faux » paysages, d’illusion. Pourtant, deux différences subsistent entre l’objet technique et les deux autres. D’abord, le miroir a été pensé pour refléter l’espace et créer le paysage, il « copie » d’une certaine façon le réel pour le retravailler légèrement, et tout cela sans grosses opérations de traduction, répercutant seulement la lumière de façon dissonante. Ensuite, l’agate et le coquillage se sont simplement sédimentés de cette façon, et même si les deux objets produisent continuellement ces formes il faut que nous leur prêtons attention pour découvrir, à travers le regard ou l’écoute, le paysage qu’ils renferment.

we will need to reconsider the signification of imagination: to think of it not just as a capacity to construct images, or as the power of mental representation, but more fundamentally as a way of living creatively in a world that is itself crescent […] participat[ing] from within, through perception and action, in the very becoming of things.Ingold Tim, « Landscapes of perception and imagination », dans Imagining for Real, Essays on Creation, Attention and Correspondence, Routledge, 2022, p. 32

L’ordinateur (le calculateur), lui se pose comme une machine à fabriquer du sensoriel. Si le cinéma, comme le miroir noir, travaille à partir du réel pour soit le montrer, le sublimer ou le détourner, le processeur, construit à partir d’une infime part du réel (des signaux électriques conditionnés par des portes logiques) la possibilité de l’infini dans un objet. En ce sens on peut l’apparenter à la pierre ou au coquillage, il peut délivrer de manière obtuse des sensations de paysage, mais la frontalité de l’expérience de l’écran et des haut-parleurs pousse à se poser la question de ce que l’on perçoit. L’on ne voit pas le courant et les calculs lorsque nous parcourons un espace généré par ordinateur, on ne voit que le résultat d’opérations physiques sur des objets techniques variés. L’ordinateur masque ce qu’il est et tente de formuler le réel, de sédimenter couche à couche ce qui apparaitrait comme un paysage.

let analyse du système de lecture = contrôle if (analyse du système de lecture == contrôle){ alert(vous formez l’image d’une main); alert(vous mettez le violet dans les soleils); alert(vous activez le point de vue d’un personnage, vous projetez déjà des intentions, vous supposez déjà des souvenirs)}Boyer Elsa, Orbital, Éditions MF, « Inventions  », 2021, 1ère de couverture

The making of atmospheres is therefore confined to setting the conditions in which the atmosphere appears.Böhme Gernot, « The art of the stage set as a paradigm for an aesthetics of atmospheres », Ambiances, 2013, connection on 22 September 2020 http://journals.openedition.org/ambiances/315


Si la partition n’est plus un texte, mais un prétexte, si ce qui a été composé évolue d’une exécution à l’autre, et même dans le cours d’une même exécution […], alors le réseau de possibles qu’est l’œuvre se laisse saisir.Charles Daniel, Gloses sur John Cage, UGE, « 1018 », 1978, p.20

Le pré-texte prépare la réalité d’une action, la programmation informatique permet de faire jouer une logique sémantique intégrée elle-même dans l’environnement numérique via une syntaxe. On somme l’ordinateur de produire un évènement en traduisant une description (lacunaire, asensorielle) vers un bourdonnement électrique signifiant.

L’interprète est un preneur de sons, au sens où l’on parle d’un preneur d’images Ibid., p. 127

Le calculateur prend le bourdonnement électrique des cycles de fonctionnement des cœurs et le module dans les haut-parleurs, il s’égosille de recracher la synthétisation d’un tapuscrit en son, il tente de faire le pont entre le sens et le sensible, trahit par le grésillement du câble liant la machine à son organe. Trahi par son battement de cœur. John Cage dans la chambre anéchoïque.

La description d’un paysage par ses noms est (pour l’instant) impossible.

Mon nom, le tien, celui d’un enfant qui n’a pas encore vu le jour, tous forment les syllabes du grand mot que prononce très lentement l’éclat des étoiles.Le Guin Ursula K., Terremer, Les Tombeaux d’Atuan (1970), OPTA, « Aventures fantastiques », 1977


Le phénomène numérique ne fait que rendre visible, par son ampleur, un trait philosophique caractéristique de toute technique en général, resté relativement inaperçu mais essentiel : la technique est une structure de la perception, elle conditionne la manière dont le réel ou l’être nous apparaît.Vial Stéphane, L’être et l’écran, comment le numérique change la perception, PUF, 2013, p. 99

Certaines algorithmes de DL, on citera notamment DALL-E ou MidJourney, permettent de produire des simulacres de reproductions paysagères à partir de descriptions sommaires. Mais elles laissent inassouvie (pour le moment) la (les) sensation résonante intrinsèque à l’évènement paysage.

Elles produisent des images mortes. Reflets de Narcisse.

Une image de paysage créée à l’aide de l’algorithme MidJourney

On veut toujours que l’imaginaire soit la faculté de « former » des images. Or elle est plutôt la faculté de « déformer » les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de « changer » les images. S’il n’y a pas de changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination, il n’y a pas d’« action imaginante ». Bachelard Gaston, L’Air et les Songes, 1943


Image d’UXN, une VM (virtual machine), Hundred Rabbits, https://100r.co/site/uxn.html, consulté le 24 octobre 2022

Le bytecode et le langage de compilation des ordinateurs sont bas niveau, au sens qu’ils perdent toute accessibilité sensible quand on les voit. Les enchaînements de lettres et de chiffres a priori abscons se mettent en tension avec la perfection de la simulation. Ces suites binaires, hexadécimales semblent distendre l’espace sur une ligne, l’écrasent en une dimension. Le paysage se replie sur lui-même. Nous le déploierons par abstraction, en feignant d’oublier, à cet instant, le simulacre.

L’arbre n’est pas le nom arbre, pas davantage une sensation d’arbre: c’est la sensation d’une perception d’arbre qui se dissipe au moment même de la perception de la sensation d’arbrePaz Octavio, Le Singe grammairien, 1970, cité dans Charles Daniel, Gloses sur John Cage, op. cit.

L’invocation des mers et des vents nécessite de savoir les appeler.

le monde spirituel n’est autre que le monde des sens, et le monde des sens n’est autre que le monde de l’esprit. Le monde est un et parfaitement totalSuzuki, L’Essence du Bouddhisme, 1955, cité dans Charles Daniel, Gloses sur John Cage, op. cit.

Inutile de parier sur les sons […] on ne s’assure pas de l’existence de la mer, ni de l’existence du vent.Charles Daniel, Gloses sur John Cage, op. cit., p. 57


le paysage comme souvenir d’une émotion fugitive, qui nous remonte aux bords des lèvres, en fermant la bouche on tente de fixer cette sensation de vertige… une envie démiurgique de recréer ce qui a été perdu

Par l’action d’un ou plusieurs personnages dans un espace fictif numérique on éprouve d’une nouvelle manière le toucher paysager, l’espace restructuré par une mise en image en son et en musique. L’ordinateur programmé fait la corrélation entre des éléments sémantiquement séparés en lui pour donner l’impression de réel. J’appuie sur une touche (impulsion depuis le périphérique), une entité (mon personnage) se déplace, j’entends ses pas (fichier son) dans un espace lui-même sonorisé.


Le numérique chiffre l’image, le son (traduite) et les déploie sur l’onde et la matrice. Nous on ré-absorbe, on re-calcule, dé-chiffre l’information. On dé-duit alors à partir du calculé un ressenti certain, on cherche à retrouver une sensorialité par le regard et l’écoute par le déchiffrage. Le pixel chemine jusqu’à l’œil, mais le regard qu’on portera sur ce gris optique. La reconstruction inconsciente des points lumineux en taches colorées, des taches en modelés et le tout en formes et fuites, on re-constitue l’image.

14 - Sarah Sze Twice Twilight

L’architecture de ténèbres demeure imperturbable. Certes, il est commun d’être couleur d’encre. Mais cette nuit, d’une espèce nouvelle, est partout exacte et construite, formée de flancs parallèles, de biseaux homologues, de justes médiatrices, d’angles inévitables. Une géométrie stricte proclame qu’elle n’est pas un néant à combler, encore moins un oubli à réparer, mais un ordre qui a ses lois et qui publie sa valeur d’ordre.Caillois Roger, Pierres, Gallimard, 1971


Entendre est une manière de toucher à distanceMurray-Schaffer R., Le Paysage sonore, le monde comme musique (1977), Wildproject, « Domaine sauvage », trad. Sylvette Gleize, 2010

Toucher des yeux, c’est se placer en présence du simulacre.

Marinella Pirelli, Sole In Mano, 1970, film, 6mn, captures d’écran

Pour certains, le paysage serait équivalent au suc du réel dans lequel on plante goulument les dents, dévorer (des yeux) la montagne, disséquer (des oreilles) la structure de l’espace ; on éprouve une physicalité. Mais les organes face au flux numérique semblent ne plus savoir où porter les canines, on se perdrait dans un flux de données, on serait submergés, victime de dépréciation sensorielle. Mais alors on oublie que la mâche c’est aussi le cœur et la tête et que la projection dans l’espace, bien que désarticulante, se voit restructurer temporairement nos manières de sentir. Je me retrouve alors à sentir la brise venant de mon écran et à mesurer le monde qui s’offre à moi.

Lorsque le paysage se trouve perturbé par le médium, que l’on voit que le sol brusquement devient transparent, que le bug révèle la matrice du monde factice, on retrouve la même distance avec lui. Le chiffre perd de sa puissance simulatrice, on se retrouve aux confins du calculé, le paysage se transforme et devient de l’imprévu. Lors de ces instants, les sons et l’image ne se synchronisent plus et faillent à leur qualité illusoire. Poussé dans ses retranchements, le sortilège s’efface et le métamorphe redevient un amas de formes et de sons.

Harun Farocki, Parallel I-IV, capture d’écran, documentaire, 43mn, 2014
Gaming Reinvented, Going Out of Bounds in the Trial of the Sword (Legend of Zelda Breath of the Wild Glitch), 2018, capture d’écran, vidéo YouTube, 1mn50, https://www.youtube.com/watch?v=HLqY_WDUlkI

C’est ici que l’imaginaire revient, que le sensible refait surface, car nous retrouverons ces paysages au fur et à mesure, nous fixerons de nouveaux horizons numériques et goûterons à un autre toucher, celui de la vallée entre la perfection et le bégaiement informatique, le sigil de travers matérialisant un autre souffle.

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Iconographie (ordre d'apparition)

Documents sonores (ordre d'apparition)

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Extrait d'un entretien avec Elsa de Smet, historienne de l'art 2022

López Francisco, Wind[Patagonia], 57mn, and/OAR, 2007, extrait

Dauby Yannick, Dit lip hue hng 直入花園, 25mn, Kalerne, 2020, extrait

Lussi Martina, Shaw Tim, FieldReorder 01, 21mn, SUPERPANG, 2021, extrait

Hatakeyama Chihei, Starlight and Black Echo, 7mn, Room40, 2017, extrait

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Ankersmit Thomas, Perceptual Geography, 40mn, Shelter Press, 2021, extrait

30 minutes of, 30 minutes of waves from listening into a seashell for predicting an upcoming storm, 32mn, Youtube, 2016, https://www.youtube.com/watch?v=GmuT4ro5QpM

Rone, Bora Vocal, 5mn, Bora EP, InFiné, 2008

Sze Sarah, Twice Twilight, extrait sonore de l'installation, Fondation Cartier, 2020

Crédits

Suivi : Yvan Étienne
Rédaction et graphisme : Drice Ducongé dos Santos
Papier : Chromomat 90g/m²
Typographies : Jester par Grifi, Inferi par Blaze Type,
Arial Narrow par Robin Nicholas & Patricia Saunders,
Courier New par Howard Kettler.
Impression : Imprimerie du Boulevard, Strasbourg
Sérigraphie : Ateliers de la HEAR, Strasbourg

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Merci à Yvan Étienne pour le suivi de ce mémoire et pour l'ouverture laissée, mais aussi à Cyrille Bret, Loïc Horellou
et Jérôme Saint-Loubert Bié pour leurs conseils avisés,
Elsa de Smet et Sebastian Dicenaire pour le temps qu'iels ont pris pour répondre à mes questions, Bernard Bleny pour son aide logistique et technique. Surtout, merci à ma famille
et mes ami·es sans lesquel·les je n'en serais pas arrivé là.


Atelier de Communication Graphique, HEAR, 2022-23